DÉCORS HÉRITÉS II

Actualité récente ou éternels allers et retours des influences, les œuvres et les éléments visuels empruntés à l’orient traditionnel ne cessent de résonner à nos yeux. Ils nous rappellent que la mobilité des personnes et des biens n’est pas chose nouvelle, bien que portée à son apogée actuellement.

Le décloisonnement des cultures et des disciplines occasionnent des mouvements et échanges multiples : des œuvres contemporaines sont exposées dans des musées classiques avant de l’être sur les salons d’art contemporain, les décors traditionnels sont mixés, juxtaposés, comme autant de symboles d’artistes et de vie multiculturelles. Sublimés, transposés, confrontés à d’autres références ; ces décors trouvent un nouvel éclairage et suscitent en nous un nouveau regard.

Le « solo show » de Rudolf Stingel au Palazzo Grassi lors de la biennale de Venise nous a transportés dans une dimension toute particulière, entre simplicité et magnificence. Une immersion mettant en œuvre un principe à la fois basique et un vrai défi technique : recouvrir l’ensemble des sols et des murs du palais avec le facsimilé d’un tapis ottoman.

Entre 2D et 3D, l’utilisation de médias plats - impression, peinture, photographie – est transposée à l’échelle gigantesque de l’espace du Palais ; où la démesure et le jusqu’au-boutisme (5000m2 recouverts) côtoient la singularité et l’isolement des œuvres exposées.

Une exposition apaisée et envoutante, située à de multiples point de rencontre : abstraction et représentation, original et reproduction …et rencontre de l’orient et de l’occident, avec ce motif entêtant, et agrandi 8 fois, symbole d’un exotisme luxueux qui transitait régulièrement par Venise et ce palais à l’époque où la ville était le point de passage obligé vers le Moyen Orient.

Wim Delvoye est connu pour ces structures d’inspiration gothique, et pour son œuvre conceptuelle Art Farm, dont les cochons vivants et tatoués ont alimenté la controverse. Suite de cette démarche, ses cochons “tapisdermiés”, (cochons moulés et recouverts de tapis de soie Indien) ont nonchalamment déambulés les appartements de Napoléon III, au Louvre. Ainsi confrontés aux décors occidentaux du second empire, ils soulignaient entre autre le rôle des textiles importés dans l’évolution et l’identité de nos espaces domestiques. Puis, ils ont de nouveau été exposés à la dernière Fiac.

Artiste libanais partageant sa vie entre New York et Beyrouth, Walid Raad utilise des langages et procédures plutôt académiques, (photos documentaires, diaporama, archives), pour laisser place à des formes de narrations abstraites et poétiques.

A l’occasion de la ré-ouverture du département des Arts d’Islam du Louvre, Walid Raad a réalisé un livre, « Préface de la troisième édition » en parallèle de son installation dans les salles du Musée. Conçu par l’artiste comme une composante artistique à part entière du projet, il se concentre sur les œuvres du département des Arts de l’Islam, récemment photographiées par le photographe Hughes Dubois, qui devraient par la suite être exposées au Louvre d’Abou Dhabi. Echo à son histoire personnelle et à la trajectoire des œuvres d’art - qui traversent le temps, et qui voyagent d’un lieu à un autre- , Walid Raad s’interroge ainsi sur les empruntes que peuvent laisser ces différents mouvements.

Cette œuvre était également présentée lors de la dernière Fiac.

Preface to the third edition, Walid Raad

Autre installation visible à la Fiac hors les murs, le Pont de Shen Yuan, artiste d’origine chinoise vivant en France, exposée par la galerie Kamel Mennour.

Pont stylisé dont le décor de céramique s’inspire à la fois des carreaux traditionnels du monde arabe et de la porcelaine Ming, cette œuvre évoque la circulation des idées et des échanges. Par sa structure qui se révèle infranchissable, elle met en lumière l'enrichissement mutuel entre les cultures tout en exposant la difficulté de la rencontre et les limites de leur interaction :

"I am trying to show language which lives in the material, the objects, I change something dead into something living, something useless into something useful." That something finds an echo in the audience. That something we called Art.

Autres médias, autres résonnances. Le Moyen Orient est aussi présent dans des univers moins attendus. Ainsi, après d’autres monuments de notre culture collective, ce sont les 1001 Nuits qu’Angelin Prejlocaj a choisi de réinterpréter pour l’année 2013 … que l’on déplore une interprétation au bord de la caricature ou que l’on reste sensible à la grâce et la maîtrise de ses chorégraphies.

Phoebe Philo a aussi créé la surprise dans la campagne publicitaire de Céline de l’hiver 2013, signée Jeurgen Teller. Outre ses silhouettes parfaitement coupées, ce sont aussi les zelliges envahissant l’espace qui attrapent le regard.

Quant au clin d’œil talentueux de Stella McCartney, il remet à la pointe de nos garde-robes le fameux «cabas Barbes », dont nous ne manquerons pas de voir de multiples déclinaisons cet hiver...